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Moi, l'amour et autres catastrophes
Moi, l'amour et autres catastrophes Read online
Table des Matières
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Table des Matières
Page de Copyright
Dédicace
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Épilogue
Le mois de mai suivant
DANS LA MÊME COLLECTION par ordre alphabétique d’auteur
© 2002, Karen Templeton-Berger. © 2009, Traduction française : Harlequin S.A.
83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75013 PARIS — Tél. : 01 42 16 63 63
978-2-280-81201-6
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
LOOSE SCREWS
Traduction française de
NADINE GINAPE-MERCIER
HARLEQUIN®
et Red Dress Ink® sont des marques déposées du Groupe Harlequin
Réalisation graphique couverture : V. JACQUIOT
Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait
une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
Service Lectrices — Tél. : 01 45 82 47 47
www.harlequin.fr
Ce livre est dédié à tous ces gens fous,
courageux, indestructibles et merveilleux qui
vivent dans une ville où je me sens toujours
chez moi même après des années d’absence. Et à une certaine éditrice, adorable et obstinée,
persuadée que je portais ce livre en moi. Merci, Gail
1
Pour commencer, je tiens à mettre les choses au point. Ce n’est pas parce que Greg Munson a réussi, ni parce qu’il est canon, que j’ai craqué pour lui. Bien sûr, les regards envieux, et parfois peu amènes, que les filles me jetaient quand j’étais en sa compagnie ne me dérangeaient guère. Et la réprobation de ma mère me gênait encore moins. Je n’y peux rien si son père est un député républicain ! C'est une pure coïncidence, je le jure.
Non, je suis tombée amoureuse de lui parce qu’il présentait toutes les caractéristiques d’un type normal. La probabilité de dégoter un tel spécimen à New York étant d’environ une sur quatre milliards, lorsque Greg m’a demandée en mariage, j’ai sauté sur l’occasion. Je n’en suis pas fière, mais bon… C'est tout de même de la survie de l’espèce dont il est question !
Et je suis certaine que nous aurions mené une vie très agréable ensemble… s’il s’était donné la peine de venir au mariage.
Quatre heures seulement se sont écoulées depuis que mes vingt-cinq mètres de tulle et moi nous sommes entassés dans un taxi, afin de regagner mon appartement. Je n’ai donc pas encore eu le temps de comprendre ce qui s’était passé. D’ailleurs, je pense que je ne comprendrai jamais.
Pourtant, je ne suis pas une idiote naïve aveuglée par l’amour. J’en suis même très loin. J’ai trente et un ans, j’ai toujours vécu à Manhattan et, faites-moi confiance, je sais repérer un pauvre type à des lieues à la ronde. Deux mois après avoir déposé dans sa nouvelle maison de Scarsdale des échantillons de moquettes et de papiers peints, je suis sortie avec Greg. Et nous n’avons couché ensemble que deux mois plus tard. Je me suis montrée prudente. Ne me suis pas fait de films. N’ai jamais évoqué le mariage. Jamais exigé davantage de temps qu’il ne souhaitait m’en consacrer. C'est plutôt lui qui semblait pressé de griller les étapes.
Alors, non. Aucun signe. Pas l’ombre d’un indice.
J’ai tenu aussi longtemps que possible. Mais j’ai su que tout était fini quand j’ai vu apparaître dans l’église, telles des prêtresses venues administrer les derniers sacrements, ma mère et ma grand-mère. Elles venaient m’aider à enterrer la cérémonie, en compagnie de mes deux demoiselles d’honneur : ma cousine Shelby (juive, très mariée, pétulante) et ma meilleure amie Terrie (noire, deux fois divorcée, cynique). Mais, éternelle optimiste, j’ai persisté à couvrir Greg. Et à vouloir sauver la face. Même si dix minutes plus tôt, le couple de cygnes sculptés dans la glace, ainsi que certains des invités les plus âgés, avaient commencé à fondre, victimes de la chaleur étouffante de cette fin de printemps.
— A cette heure, la circulation dans le quartier doit être atroce, ai-je déclaré avec assurance.
Quand Terrie a souligné que le téléphone portable de Greg qui lui tenait lieu de cinquième appendice était coupé, j’ai affirmé, d’une voix où ne perçait qu’une infime pointe d’hystérie, que sa batterie devait être à plat. Bien sûr, c’était la seule explication, parce que, tout de même, nous avions choisi ensemble ces fleurs débiles. Zut ! Sans parler du gâteau et des invitations. Alors pourquoi n’assisterait-il pas à son propre mariage ?
— Peut-être qu’il est mort ?
Toutes les têtes se sont tournées vers Nonna, ma grand-mère, qui tiraillait sans cesse sa culotte à travers sa robe rose toute neuve et qui, sourde comme un pot, avait émis cette hypothèse assez fort pour être entendue depuis le Bronx.
J’ai lancé à ma mère, resplendissante dans un genre de boubou échappé du Roi Lion, un regard lui enjoignant de se taire. Mais tandis que les invités refluaient dans un silence embarrassé, et que l’officier d’état civil, flanqué de Phyllis et Bob Munson — les parents de Greg — marmonnait des condoléances, j’observais la salle de bal somptueusement décorée presque vide avec de réelles envies de meurtre.
Inutile que ta mère paie le mariage, avait dit Greg. A nous deux, nous pouvons assumer cette dépense, non ?
Etant donné l’activité à laquelle nous étions en train de nous livrer quand il avait émis cette suggestion, j’aurais agréé à peu près à n’importe quoi. Mais mes vêtements et ma raison retrouvés, j’avais réfléchi. Et… oui. Nous poursuivions tous deux de solides carrières — Greg avait été nommé associé de son cabinet juridique avant ses trente ans, et mon nombre grandissant de clients m’autorisait à ne plus farfouiller discrètement le rayon des soldes. Greg était d’avis de partager les frais, ce qui signifiait piocher dans mes économies. Précisons : anéantir mes économies. Parce qu’il ne s’agissait pas d’un mariage à la mairie suivi d’une réception chez Schrafft. Mais Greg Munson était l’homme de ma vie, et j’aurais pu ne jamais le rencontrer, alors, cela en valait la peine, non ?
Avez-vous la moindre idée du prix d’une robe de mariée Vera Wang ?
Quand, les yeux rivés sur l’image merveilleuse que me renvoyait le miroir de la cabine d’essayage, j’avais assuré d’une voix faible à Shelby que le tailleur de soie ivoire Ellen Tracy de chez Bergdof serait aussi bien, elle avait répondu, atterrée :
— Tu te rends compte que tu vas rater la seule chance de ta vie d’être une princesse ?
Le commentaire de Shelby avait fait mouche, et j’avais traîné ma mère et Nonna dans le showroom de Madison Avenue. Ma mère, tout aussi atterrée, avait déclaré :
— As-tu la moindre idée du nombre de sans-abri que tu pourrais nourrir avec le prix d’une robe que tu ne porteras qu’une seule fois ?
Quant à Terrie, les mains plantées sur ses hanches rondes, qui avait survécu à deux mariages et nombre de liaisons, elle avait lancé :
— Merde, avec cette robe, on croirait que tu as des seins.
Quelqu’un a un mouchoir ?
Ma mère a essayé de me convaincre de rentrer chez elle avec Nonna, et de passer la nuit dans son appartement, propriété de l’université de Columbia. J’aurais préféré m’arracher un œil, aussi avais-je refusé. Ceux d’entre vous dont la mère ne s’appelle pas Nedra Cohen Petrocelli me trouveront peut-être irrespectueuse.
D’accord, je suis peut-être un peu de mauvaise foi. Nedra est pétrie de bonnes intentions, vraiment. Mais elle a tendance à aspirer la force vitale de tous les malheureux qui l’approchent à moins de dix mètres.
Parfois, à la vue d’une photo de ma mère, plus jeune et plus mince, j’ai l’impression de me regarder dans un miroir. Mêmes cheveux noirs et drus, même yeux sombres, pommettes hautes, silhouette longiligne… Et une bouche incapable de rester fermée, ce qui est une inévitable source d’ennuis. Mais niveau personnalité… Disons que la génétique a raté son coup. Si elle est privée de compagnie humaine plus de deux heures, Nedra dépérit, alors que moi la solitude m’est nécessaire. Nedra réagit à une tragédie ou au stress en invitant une douzaine d’amis à dîner, alors que je préfère serrer un palliatif — dans le cas présent une bouteille de champagne hors de prix — contre ma poitrine raplapla (là aussi la génétique m’a joué un sale tour) et me terrer dans ma tanière.
Une tanière minuscule, dépourvue de l’air conditionné, mais que je me félicite chaudement de ne pas avoir quittée. Même si la semaine dernière, j’ai déménagé la majorité de mes affaires à Scarsdale (vais-je devoir reconstituer ma garde-robe ?). Assise au milieu du tapis turc acheté trois ans auparavant dans un grand magasin de la Cinquième Avenue, qui depuis 1973 a fait faillite, j’avale le champagne comme du Coca light. Pour me distraire, je compte les messages enregistrés par le répondeur. Comme la moitié doivent provenir (stéréotype écœurant) de ma mère, je n’éprouve aucun désir de les écouter. Même si l’un d’eux est peut-être de Greg.
Surtout si l’un d’eux est de Greg.
Je devrais vraiment enlever cette robe. D’abord, elle me démange affreusement. Mais je m’y refuse. Pas encore. Je sais, c’est idiot. Pourtant, je ne crois pas que Greg va soudain réapparaître, tout sourires et excuses, et que nous allons ensuite foncer à la réception afin de nous marier, comme si de rien n’était. Ce qui serait de toute façon impossible parce que les invités sont partis depuis longtemps, que le traiteur a remballé son buffet et que l’officier d’état civil devait marier un autre couple plus tard dans l’après-midi. Et que je ne parviendrai jamais à me recoiffer comme Alphonse l’avait fait…
Vous savez ce qui me déprime le plus ? (Je fixe la bouteille et trouve un peu de réconfort dans le ventilateur au souffle intermittent, inefficace, mais sans surprise). Avant de rencontrer Greg, j’étais parfaitement heureuse. Je ne ressentais aucun manque dans l’existence, vous comprenez? Oh, bien sûr, j’imaginais me marier un jour — c’est ce que font la plupart des gens, surtout s’ils désirent des enfants. Or j’en désire. Zut, même ma mère s’est mariée — avec mon père, pratique — alors qu’à elle seule cette femme redéfinit la notion d’« électron libre ». Mais je n’errais pas à la recherche de l’« homme idéal » en pleurant dans mon café, désespérée parce que j’avais atteint l’âge canonique de trente ans sans le trouver. Cette idée n’a jamais influencé ma vie amoureuse. Je jure que non. J’acceptais une invitation à l’occasion, faisais l’amour encore plus occasionnellement, mais voyez-vous, choisir quel DVD vous allez louer, le regarder quand vous le désirez, habillée comme vous en avez envie, en mangeant ce qui vous plaît, le tout sans commentaire d’un tiers se trouvant dans la même pièce, a ses avantages. Je n’ai jamais été le genre à faire saliver les hommes… et alors? Je jouis d’une carrière florissante, de ce fabuleux studio dans l’East Side sous-loué au noir depuis cinq ans, et d’un coiffeur qui n’a pas poussé un cri d’horreur la première fois que j’ai ôté mon chapeau.
Donc tout allait bien. Avant Greg. Puis il a débarqué dans ma vie et maintenant me voilà avec le sentiment d’avoir survécu à un véritable carnage.
Pourquoi devrais-je éprouver cette sensation ? Est-ce que je vaux un iota de moins que ce matin ? Mon estime de soi est-elle entamée parce qu’un imbécile a trouvé intéressant de bousiller ma vie et mon avenir proche ? Mes cheveux sont-ils plus broussailleux, mon nez plus gros, ma poitrine plus plate ?
Je baisse les yeux pour vérifier… Rassurée, je m’offre une nouvelle rasade de champagne, directement au goulot. Pas de vaisselle, pas de chichis, pas de bulles dans les narines.
Hum. Je crois que j’ai perdu toute sensation en dessous des genoux.
Oh zut… la moustiquaire doit être trouée : un moustique en colère sévit dans le secteur… Non, attendez ! C'est l’Interphone. Soit j’ai commandé des plats chinois et je ne m’en souviens plus (très possible), soit quelqu’un — très probablement ma mère, idée déprimante — est venu assister à ma déchéance.
Je me hisse à la verticale. Le sang circule de nouveau dans mes jambes, et ma robe et moi flottons jusqu’à l’Interphone. Trois ou quatre tentatives sont nécessaires pour que je réussisse à appuyer sur le minuscule bouton en grognant un « Dégagez ».
Attendez. La sonnette sonne toujours. J’achève le champagne — je me permets de préciser que je ne picole pas. Il s’agit de ma première consommation excessive d’alcool depuis le mariage de ma cousine Shelby en 1996, ce qui explique pourquoi tout m’apparaît maintenant en double, ce qui ne m’éclaircit guère l’esprit. Raté. Je comprends également que le moustique en colère n’est pas coincé dans mon Interphone mais rôde devant la porte de l’appartement.
Je réprime un hoquet indélicat, réunis ce que je peux de ma robe, et me lance dans une course aléatoire en direction de la porte. Il me reste juste assez de… lucidité pour jeter un coup d’œil par le trou de la serrure.
— Qui c’est ?
— Ginger Petrocelli ?
Souvent, je me demande où mes parents avaient la tête le jour où ils m’ont baptisée Ginger. Avant de me cogner le front contre la porte en regardant par l’œilleton, j’ai la vision floue d’un menton à fossettes vaguement familier, d’yeux bleus perçants et d’une main très masculine aux ongles coupés net qui présente une carte d’apparence officielle. L'homme se présente, mais, huit étages plus bas un camion de pompiers déclenche sa sirène, et comme ma fenêtre est ouverte, je n’entends rien. Et manque faire pipi dans ma culotte. Vu la quantité de champagne que j’ai ingurgitée, j’ai frôlé la catastrophe.
J’essaie de lire la carte mais mon regard refuse de se fixer assez longtemps pour déchiffrer le nom, encore moins distinguer la photo. Mais je suis presque certaine de lire « Police de New York ».
Mon estomac se noue. Mais je me console en me disant qu’au moins, il ne s’agit pas de ma mère.
Oh mon Dieu. Ma mère.
Des images me traversent l’esprit. La porte du taxi se refermant sur le boubou et traînant ma mère sur plusieurs mètres au milieu de la circulation du centre-ville… Je me jette sur la première des trois serrures que j’ai verrouillées à mon arrivée…
Atteeeeeeeendez une minute !
— Qu’est-ce qui me prouve…
Je me rattrape au mur jusqu’à ce que mon étourdissement me passe.
— … Qu’est-ce qui me prouve que vous êtes réellement de la police ?
Un soupir résigné résonne à travers la porte épaisse de sept centimètres.
— Zut, Ginger… As-tu regardé par l’œilleton ou pas ? C'est Nick Wojowodski. Ouvre.
Avec un cri d’étonnement, je finis de déverrouiller la porte et l’ouvre en grand. Je titube dans le couloir, une main surgit pour me rattraper tandis que je trébuche sur un plat en aluminium posé sur le sol, et je me retrouve propulsée dans le passé, jusqu’au 16 juin 1996.
— Dieu du ciel, dis-je en haletant, piégée par une paire d’yeux de la couleur du ciel de New York, effectivement bleu en ce jour d’octobre.
Nicky s’efforce de ne pas frémir en respirant les vapeurs d�
��alcool, et je m’efforce tout aussi vaillamment de ne pas frémir à l’évocation de mes souvenirs.
Le mariage de Paula, la fille du cousin de mon père avec Frank, le frère aîné de Nicky. J’étais l’une des douze demoiselles d’honneur. Les robes hideuses m’avaient mise d’humeur vengeresse. Quant à ce cher Nicky, c’était le témoin du marié.
A l’époque, je n’avais jamais rencontré un homme comme lui. Et je n’avais aucune chance, avec tout le champagne que j’avais ingurgité (un mode de fonctionnement apparaît ou quoi ?) de plaire à ce regard à tomber par terre et ces quatre-vingts kilos de virilité qui se sont plaqués contre moi pour m’entraîner sur la piste de danse. Surtout que mon petit ami… Seigneur, comment s’appelait-il ? Peu importe, j’ai oublié son nom, mais je me souviens qu’il venait de me plaquer pour une nana wisigoth de Hunter College, bardée de bazongas et autres sérieux problèmes de mutilations. Je me sentais solitaire, idiote, et j’avais envie de faire l’amour. Nicky s’était montré très désireux de m’aider à regagner mon estime de soi en berne. Ainsi que de me débarrasser de ma virginité, d’ailleurs un peu usagée sur les bords.
Ce qu’il a fait, tout de go, dans un débarras à environ vingt pas derrière l’autel.
— Je t’appelle, avait-il dit.
Mais il n’avait jamais appelé.
Je ne crois pas avoir revu Paula plus de deux ou trois fois depuis. Nous n’avons jamais été très proches. Elle m’avait demandé d’être sa demoiselle d’honneur pour disposer d’un nombre pair. Et puis elle habite Brooklyn. Mais mon grand-père et le sien étaient frères, aussi nous téléphonions-nous de temps à autre, en cas de crise familiale par exemple. Donc, je sais que Nicky habite le troisième étage de la maison de Greenpoint que leur grand-mère leur a laissée, à lui et à Frank, deux ans auparavant, qu’il est entré à l’école de police, et est devenu inspecteur. Ce que je ne savais pas, c’était qu’il avait été nommé dans le 19e district. C'est-à-dire le mien.
Faisant de mon mieux pour afficher la tête d’une fille sacrément en colère, je suis des yeux Nick qui se baisse pour ramasser le truc enveloppé d’alu, apparemment préparé par Ted et Randall, mes voisins d’en face. Le tout est enveloppé d’un ruban de satin noir.